
Notre Nation traverse plusieurs graves crises en même temps : crise de désillusion dans la démocratie représentative, attentats terroristes islamistes et pandémie de la covid19 assortie de ses conséquences socio-économiques majeures. Ces menaces supposent l’unité nationale face aux périls. L’unité suppose de ne pas cliver et nous unir autour des valeurs de paix civile.
La réponse à ces crises peut-elle être à chaque fois toujours plus de suspensions des libertés publiques, toujours davantage de postures clivantes ?
Ce risque est une tentation : droit de manifestation couvert par une presse libre en passe d’être suspecté d’ »anti républicain » par la polémique sur la loi « sécurité globale » ; libertés d’aller et venir, de réunion, des cultes, du commerce suspendues comme jamais en temps de paix depuis 1875 ; légitime lutte contre le terrorisme islamiste aboutissant à un arsenal préventif et répressif dans notre droit inconnu depuis les périodes les plus sombres.
Comme si ces inquiétudes rappelées ne suffisaient pas, un texte de loi « confortant les principes républicains », intervenant dans une séquence plus que préoccupante sur la liberté de culte interdite puis limitée à « 30 personnes » puis rétablie sur intervention du juge, vient ajouter encore une couche au prurit législatif préexistant, cherchant à tirer parti d’un consensus biaisé.
Qui peut être pour le danger islamiste ? Donc qui peut être contre le catalogue de mesures (34 pages) qu’on nous nous présente comme non-discutables ? Même les réserves, n’allant pas jusqu’à la critique, deviennent suspectes et sont jetées en pâture : « donc vous voulez baisser la garde face aux terroristes ? » Que nos concitoyens vivant pacifiquement la religion musulmane doivent en raser les murs est déjà injuste, mais que les fidèles d’autres religions, chrétiennes ou israélite, doivent en payer le prix devient inquiétant.
Un texte « interreligieux »
On peut comprendre qu’un Etat comme notre République, fondée sur les principes d’égalité en droit et de séparation d’avec les cultes, ne pouvant cibler au sein de l’islam une dérive sectaire islamiste, camoufle son but dans un texte « interreligieux » valable pour tous. Cette ligne de crête l’autorise-t-il à porter atteinte à la liberté religieuse de tous, à la liberté d’association, à la liberté d’enseignement tant à domicile que l’enseignement du fait religieux à l’école publique et à l’absence de tutelle sur les cultes, que proclamait, pourtant, l’article 1er de la loi du 9 décembre 1905 ?
Ce projet, qui sera adopté au conseil des ministres à la date anniversaire de cette loi de 1905, ne peut être présenté en détail dans cette tribune tant il est long et complexe. Le contexte et le calendrier avant les fêtes étouffent (à dessein ?) un débat approfondi et serein qui ne méritera même pas, sous notre Parlement « rationalisé », le dixième du temps parlementaire que lui avaient consacré les pères de la loi de 1905. Le résultat final risque d’inscrire un nouveau « droit d’exception durable » au sein du droit des cultes.
Est-ce raisonnable ? A-t-on réellement tout soupesé ?
Le projet cherche à soumettre le droit des services publics, le droit des marché publics, le droit de l’enseignement, le droit des manifestations cultuelles, le droit des cultes à s’organiser en associations, le droit fiscal des cultes, le droit des associations laïques à l’absolu « respect des principes républicains ». Soit.
A l’exception de quelques officines islamistes qui avaient pour caractéristique de vivre en dehors de tout cadre légal, qui prétendra que les religions s’organisaient jusqu’ici contre ces principes ? Et quel sera le contenu de cette nouvelle « tutelle » ? Le diable risque d’être dans le détail.
Par exemple, l’article 6 veut subordonner toute association cherchant à bénéficier de subvention publique à la conclusion d’un « contrat d’engagement républicain ». Est-ce à dire que le « caractère propre » des « associations à tendance » comme par exemple le Secours catholique ou les groupements scouts d’obédience catholique, protestante, israélite ou musulmane vaudra demain tracasseries sinon bannissement de toute aide d’origine publique dans un pays à 46% de prélèvements obligatoires ?
La République a des « valeurs », mais la première est le respect des Droits de l’homme, pour elle-même. Les Etats doivent non seulement les respecter, mais en assurer l’effectivité. L’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 proclame :
« Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites. »
Nous soulignons ces mots qui, hélas, ne se retrouvent pas énoncés aussi nettement dans notre Constitution nationale, mais qui s’imposent à elle. La liberté des parents d’enseigner, et singulièrement « l’éducation religieuse et morale de leurs enfants », est encore protégée et doit être mis en œuvre au titre des articles 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et 13 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.
En bref, le projet de loi « concernant les principes républicains » nous inspire d’être mieux inspiré. C’est-à-dire de prendre le temps d’une vraie concertation, approfondie, avec la société civile.
Camel Bechikh, ancien président de « Fils de France »
Saïd Oujibou, pasteur évangélique, consultant et médiateur socio-religieux